Le Pianiste
Lextraordinaire destin dun musicien juif dans le ghetto de varsovie, 1939-1945
de Wladyslaw Szpilman
Traduit par Bernard Cohen
"Grand Prix Littéraire des Lectrices de ELLE" 2002 pour "Le Pianiste"
ELLE 20 Mai 2002
C´est une premiére: pour sa 33e année le Grand Prix des Lectrises de ELLE a couronné trois lauréats. Dans le sublime salon Président de l´hotel Lutétia, trois auteurs étaient á l´honneur. Dans la catégorie "roman" c´est Isabelle Houser avec "La Table des enfants" qui l´a emporté "Pars vite et reviens tard" (éd Viviane Hamy) de Fred Vargas a fait l´unanimité coté polar. Andrzej Szpilman , venu d´Allemagne pur représenter son pére Wladyslaw, disparu en juillet 2000, a raconté avec beaucoup de pudeur la genése du "Pianiste" (éd. Robert Laffont), publié une premiére fois en 1946, puis censuré par les autorités communiste polonaises. Lundi dernier, ELLE était trés fier de participer á la résurrection de ce récit exceptionnel de l´insurrection du Ghetto de Varsovie, dont Roman Polanski a présenté ládaptation au Festival de Cannes. A la joie se mélait l´émotion.
ISABELLE LORTHOLARY
Ce sont les mémoires, presque un journal, d'un pianiste polonais qui a vécu le ghetto de Varsovie et la destruction de la capitale. Il a aujourd'hui près de 90 ans et vit à Varsovie. Ce livre, écrit juste après la guerre, a été publié en Pologne à l'époque. Il évoque des faits historiques que le régime communiste préférait oublier et il n'a jamais été republié. Il y a un an, le fils de Wladyslaw Szpilman, qui vit en Allemagne, a découvert ce texte. Il n'en avait jamais discuté avec son père. On ne revenait pas sur ça. Pendant très longtemps, moi aussi, je parlais peu, voire pas du tout, de cette période. Le livre a donc été publié en Allemagne, et il a eu un énorme succès, public et critique. Il a tout de suite été repris par les Anglais et, il y a quelques mois, il a été édité aux États-Unis. En France, il sortira chez Laffont en décembre. Ce livre se lit comme un vrai thriller et, bien qu'il retrace une période noire de l'histoire, il est plein de forces positives et d'optimisme.
(Roman Polanski)
CD: Wladyslaw Szpilman The Original Recordings of The Pianist
SONY Classics Europe
Hip-O Records/Universal
Wendy Lands Sings the Music of the Pianist Wladyslaw Szpilman
G.Tremblay
Dans la foulée du film de Polanski, Andrzej Szpilman fait connaître la musique de son père. Lui et le réalisateur John Leftwich (Rickie Lee Jones, Lyle Lovett) ont choisi parmi les 500 thèmes du compositeur. Ils ont réuni auteurs, musiciens et ont demandé à la chanteuse canadienne Wendy Lands de participer à l'aventure. Il en résulte un album inspiré, d'une richesse musicale remarquable qui laisse percer des teintes de flamenco, de folk, de country et de jazz. On retiendra Turn Away et Hold Me a Moment(Leftwich), Smoke and Mirrors (Shira Myrow), Fall in Love Again (Michael Ruff) et My Memories of You (David Batteau).
Un livre indispensable
...Ce livre a été pour moi une leçon d'histoire et une leçon de vie.
Leçon d'histoire car on apprend comment au fur et à mesure, les lois anti-juives ont été promulguées et on prend conscience très clairement des modifications insupportables que ces lois occasionnaient dans la vie de gens simples qui n'avaient pour seul tort que celui d'être juif.
Leçon de vie ensuite, car la volonté farouche et le courage de Szpilman lui ont permis de survivre.
A lire de toute urgence !
Chef d'oeuvre !!!
par Mathieu Guiglielmi,
avril 2002
J'ai reçu "Le pianiste" comme cadeau d'abonnement à votre magazine. Je ne l'ai pas lu, je l'ai dévoré. Cette terrible histoire, est poignante, on ne peut s'empêcher de tourner pages après pages, pour savoir ce qui va arriver à Szpilman. Ce dernier est un conteur né, il dépeint sa situation désastreuse pendant ces 6 ans passés dans l'enfer nazi de cachettes en cachettes et à la recherche d'un peu de nourriture et d'eau, avec sobriété, mais reste aussi tellement émouvant. Ce n'est pas seulement un livre... c'est une merveille !
Un livre qui m'a retourné !
C'est suite à la chronique de Michel Polac sur France Inter dans l'émission "la partie continue" entre 18 et 19 h ,que j'ai découvert ce livre. J'ai commencé ce livre en début de soirée et ne l'ai laché qu'au matin ...
Roman Polanski partage une histoire tumultueuse avec le Festival de Cannes. Membre du jury en 68 (le festival avorte à cause des événements de mai), il revient en tant que Président en 1991. Il a présenté 4 films. Macbeth (72) et le flop hué de Pirates(86), hors compétition. le bateau de Pirates s'ancra longtemps à Cannes. Avec The Tennant(Le Locataire) en 76, il est pour la première fois en Compétition, parmi les favoris, et repart sans prix. En 2002, et seulement 3 films en 10 ans, et aucun hit en 20 ans, il réapparait avec son Pianiste, film monté financièrement en 2000 au Festival de Cannes.
Il s'agit bien évidemment de son film le plus personnel. Lui-même fut enfermé dans un ghetto de Cracovie, il a aussi survécu aux bombardements de Varsovie. C'est son premier film en Pologne depuis 62! Dès la lecture des premiers chapitres, le réalisteur de Rosemary's baby et Chinatown savait que ce serait son film "rédempteur" après le médiocre et kitsch Ninth gate.
A l'origine, les souvenirs d'un pianiste, Wladyslaw Szpilman, rédigés juste après la guerre, mélangeant l'authenticité, l'atrocité, et l'objectivité d'une réalité proche. "Dans son livre, il y a de mauvais et de bons Polonais, tout comme de mauvais et de bons Juifs, de mauvais et de bons Allemands."
L'acteur était évidemment primordial. 1400 candidats se présentèrent. Polanski cherchait un professionnel anglophone. Il le trouva en Amérique, en la personne d'Adrien Brody, ni trop connu, ni inexpérimenté. Il avaité té remarqué chez Coppola, Soderbergh, Malick, Spike Lee, Levinson... C'est à Cannes, en 2000, qu'il fut révélé, avec un Loach (Bread and Roses).
Les décors furent tout autant complexes à monter pour exprimer la réalité d'alors. C'est Allan Starski, à qui l'on doit ceux de La Liste Schindler, Danton, Europa Europa, qui fut engagé. Le budget conséquent (35 millions de $) permit de reconstituer ce qui avait été détruit aux studios Babelsberg (Stalingrad). Mais Polanski a réussi à trouver quelques coins de rues historiques pour en abuser un peu et profiter ainsi de reposer sa caméra sur son sol natal. Pas étonnant qu'il ait dédié sa Palme aux Polonais.
La production s'est achevée il y a plus d'un an. Pendant la construction du projet, le véritable Szpilman (l'Homme qui joue, littéralement) est mort à l'age de 88 ans (le 6 juillet 2000). Pianiste célèbre dès les années 30, il travaille pour la Radio d'Etat quand Hitler bombarde Varsovie, en septembre 39. Cette invasion déclenchera la seconde guerre mondiale. Après la publication de son livre, "Mort de la ville", en 46, il devindra un célèbre compositeur et le directeur musical de la radio nationale. En 98, son fils découvre ses mémoires et décide de les publier : "Le Pianiste".
Ce livre et donc ce film ont permis au réalisateur de "raconter l'histoire d'un autre avec son propre vécu et ainsi d'accepter d'affronter ses propres démons". Il a enrôlé aux côtés de Brody, des acteurs comme Thomas Kretschmann (La reine Margot, U571, Blade II) pour incarner le Capitaine Allemand mélomane. Le reste du casting est essentiellement britannique tandis que l'équipe technique regroupe quelques uns des meilleurs artistes polonais. Le film est produit par Alain Sarde, déjà producteur de Mulholland Drive, de David Lynch.
Post-Cannes
Le Pianiste est devenu l'un des films les plus récompensés de l'année, malgré un succès modeste au B.O. : 1,5 millions d'entrées en France, à peine 20 millions de $ aux USA. Mais le Polanski a réussit l'exploit de remporter 7 Césars (sur 10 nominations), dont meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur et meilleure musique. Pas rien pour un film à 50% français et à 100% en langue anglaise. Mieux, le film est nominé 7 fois aux Oscars (dont meilleur film, réalisateur, acteur, photo, scénario et montage). Pas en reste, les Britanniques ont primé Polanski aux BAFTA (British Awatds) d'un prix du meilleur film et du meilleur réalisateur, et les espagnols lui ont remis un Goya du meilleur film européen. Assurément, la Palme d'Or plait au delà de la Croisette. C'ets très rare pour être souilgné.
(www.cannes-fest.com)
Le Monde
28.05.02
Polanski consacré, Kaurismäki adoubé
Le jury du 55e Festival de Cannes a décerné, dimanche soir, la Palme d'or à Roman Polanski pour "Le Pianiste" et le Grand Prix à Aki Kaurismäki pour "L'Homme sans passé". La cérémonie a permis à de nombreux cinéastes étrangers de dire leur attachement à l'exception culturelle française.
Le Parisien - Pierre Vavasseur
Tié d'une histoire vraie, ce film à grand spectacle de Roman Polanski est tout simplement bouleversant.
L'Express - Jean-Pierre Dufreigne
Peut-être le plus grand film de Polanski. Grâce à la pudeur de la narration pour conter une histoire terrible - et vraie! - la palme d'or de Cannes 2002 nous écorche jusqu'au coeur. A voir absolument.
Le Point - Olivier De Bruyn
Admirable d'intelligence, de pudeur et d'émotion, " Le pianiste " est le chef-d'oeuvre de Roman Polanski. Un de ces metteurs en scène, si rares, qui, en évoquant l'Histoire, demeurent créateurs de formes et inventeurs d'imaginaire.
Première - Gérard Delorme
Avec les arguments que Roman Polanski utilise, son Pianiste est irréfutable.
Aden - Philippe Piazzo
Le Pianiste, justement couronné par la palme d'or cannoise, est aujourd'hui un aboutissement. C'est le film de toute une vie et de toute une carrière.
Oui Rock - Sarah Beaufol
Un film troublant et bouleversant... à ne pas rater.
Cinopsis - Benjamin d'Aoust
Comment détacher son regard d'un écran à la fois si lourd de sens et si mélodieux ? Impossible. Merci Monsieur Polanski.
Télérama - Frédéric Strauss
L'histoire vraie d'un survivant du ghetto de Varsovie, sobrement magnifiée par Roman Polanski.
Les Inrockuptibles - Frédéric Bonnaud
(...) le concert final résonne comme une prière, l'hommage presque apaisé d'un grand cinéaste qui continue de vivre avec ses mondes engloutis.
Positif - Olivier De Bruyn
Taxé d'académisme par quelques critiques experts dans l'exercice de la mauvaise foi, Le Pianiste est un film d'une richesse rare dont la consécration, au sein d'une compétition (Festival de Cannes) de très haut niveau, n'est nullement usurpée.
Libération - Philippe Azoury
Polanski signe un film d'une grande sincérité, évocation kafkaïenne du nazisme.
Décès du compositeur Wladyslaw Szpilman.
Le compositeur polonais d'origine juive Wladyslaw Szpilman est décédé le jeudi 6 juillet, à l'âge de 88 ans. Auteur de chansons très populaires en Pologne et de musiques pour le cinéma, il sera le personnage principal d'un film que le réalisateur Roman Polanski doit commencer à tourner cet automne en Pologne. Tiré des mémoires de Wladyslaw Szpilman et laissant une large place à sa musique, il racontera sa vie pendant la Seconde guerre mondiale, sous l'occupation allemande. (6 juillet-afp)
Un piano dans le ghetto
par Guy Rossi-Landi
Lire, avril 2001
Le sous-titre dit bien l'intérêt exceptionnel de l'ouvrage: «L'extraordinaire destin d'un musicien juif dans le ghetto de Varsovie». Quand la ville croule sous les bombes, en septembre 1939, Radio-Pologne est réduite au silence au moment où un jeune pianiste y joue un nocturne de Chopin. Les émissions reprendront six ans plus tard, avec le même morceau, interprété par le même pianiste, ce qui est proprement miraculeux.
En effet, Szpilman est juif. Il survit d'abord, avec sa famille, trois ans dans le ghetto, où il continue à pratiquer le piano, dans un café où se réunit l'intelligentsia juive, comme si de rien n'était (et l'on découvre avec surprise qu'une vie sociale a existé, un certain temps, dans le ghetto). Puis, en août 1942, tous ses proches sont déportés, mais un policier mélomane le fait in extremis sortir du convoi.
Szpilman va alors errer de cachette en cachette, solitaire et affamé, pendant deux ans et demi. Par un étonnant caprice du destin, il ne doit sa survie qu'à sa rencontre avec un officier allemand, un chrétien horrifié par les crimes nazis, qui lui apporte un peu de nourriture. Ce Juste, dont une partie du journal est publiée en annexe, est mort dans les camps soviétiques.
Publié en polonais après la guerre, le livre avait été jugé alors politiquement incorrect par le régime communiste et rapidement interdit; aujourd'hui encore il n'est pas disponible en polonais. Qu'il s'agisse du sort personnel de l'auteur ou de l'insurrection du ghetto, le récit est d'autant plus bouleversant qu'il est volontairement distancié, comme s'il s'agissait d'un modeste témoignage. Son auteur est mort en juillet 2000.
Lire.fr
Le Pianiste
Septembre 1939, dernière exécution à la radio polonaise du Nocturne en ut dièse mineur de Chopin par le pianiste Wladyslaw Szpilman avant qu'une bombe allemande ne réduise l'émetteur au silence. 1945, pour la réouverture de l'antenne de Radio Pologne, Szpilman interprète le même Nocturne en ut dièse mineur. Entre ces deux exécutions, six ans de la nuit la plus noire "le temps que Herr Hitler joue sa partition sur la scène mondiale". Six ans pour Szpilman de confrontation quotidienne avec l'horreur, la peur et la mort.
A travers un récit, très pudique, très distancié, l'auteur brosse l'effroyable tableau de Varsovie et de ses habitants juifs au cours de ces années: siège de la ville puis constitution et organisation de la vie dans le ghetto avec ses collaborateurs et ses justes, ses fêtes, ses rafles, ses rumeurs qui enflent sur le sort des juifs envoyés en "camp de travail"; l'insurrection de Varsovie et la destruction finale de la ville par les Allemands.
Chaque étape apporte son lot de dangers, de pièges à déjouer. Le père et la mère de Szpilman, ainsi que ses deux surs et son frère partageront leur dernier "repas" avec lui - un caramel coupé en six - juste avant que, miraculeusement écarté du convoi, il ne les voit partir pour Treblinka. Il ne cessera d'ailleurs d'échapper à la mort, aussi bien dans l'enceinte du ghetto que plus tard, lorsqu'il quitte cette partie de Varsovie pour se réfugier chez les uns ou les autres, toujours caché, traqué par les bombes, les Allemands, l'incendie, vivant terré dans un trou pendant des mois.
De musique proprement dite, il est peu question dans ce livre, sauf à quelques reprises lorsque le narrateur s'inquiète pour ses mains, gelées, éprouvées par les travaux les plus durs ou lorsque totalement isolé dans un minuscule réduit, pendant des jours, presque sans boire et sans manger, il se remémore pour éviter la folie toutes les partitions qu'il a interprétées.
Ce récit bouleversant est complété par d'émouvants extraits du journal tenu à Varsovie par Wilm Hosenfeld, officier allemand qui contribua à la survie du pianiste en lui apportant au péril de sa vie quelques nourritures.
Après la guerre, Wladyslaw Szpilman a dirigé la radio nationale polonaise et a mené une carrière de compositeur et de pianiste. Il est mort à Varsovie en juillet 2000. Contrairement à beaucoup de survivants, il écrivit ce témoignage très vite après la guerre. Proscrit par le régime communiste en 1946, ce récit plongea à sa manière dans la nuit jusqu'à ce que les lecteurs français le redécouvrent aujourd'hui. Il sera désormais difficile d'entendre le Nocturne en ut dièse mineur de Chopin (opus 27, n° 1) sans songer à la destinée de Szpilman et à celle des juifs de Varsovie.
VIDEOS
Take a look on the excerpt from the TV documentary by Andrzej Szpilman (now in postproduction):
Wladyslaw Szpilman plays Nocturne c sharp minor by F. Chopin
Link -Video Wladyslaw Szpilman plays Chopin (Quick Time Movie-Apple)
Link - Video Wladyslaw Szpilman plays Chopin (Real Audio High Quality-PC DSL )
Link Video Wladyslaw Szpilman plays Chopin (Real Audio PC Modem Connection)
Recorded 12/1997 in Warsaw ©A.Szpilman 2002, Cameraman J.Mazur
Please click here to watch the film:
ABC News by Peter Jennings with Wladyslaw Szpilman (QuickTime - Mac)
US TRAILER OF THE MOVIE "THE PIANIST"
UK TRAILER "THE PIANIST" Real Video
UK TRAILER "THE PIANIST" Quick Time
L'Express du 15/02/2001
Le survivant
par Martine de Rabaudy
Wladyslaw Szpilman raconte ses années traquées dans le ghetto de Varsovie. Roman Polanski a décidé d'en faire un film
Le 13 mars 1943, lors de la liquidation du ghetto de Cracovie, un jeune garçon aperçoit un groupe d'hommes de son quartier, escortés par des soldats allemands. Lorsque la colonne se rapproche de lui, il reconnaît son père parmi ces prisonniers. Celui-ci le retient du regard et lui souffle: «Fiche le camp!» Cette scène figure dans Roman, l'autobiographie de Roman Polanski, parue en 1984. A quelques détails près, semblable événement se retrouve dans Le Pianiste, de Wladyslaw Szpilman, prisonnier du ghetto de Varsovie, dont le récit édité en 1946 est ensuite interdit par le pouvoir soviétique pendant plus d'un demi-siècle. Enfin publié en France, on comprend la volonté de Roman Polanski d'en acquérir les droits. Le Pianiste sera son prochain film. Ces deux Polonais rescapés de l'enfer nazi auront, chacun dans son art, une carrière internationale. En juillet 2000, Szpilman meurt à Varsovie. Pour le musicien, ce livre unique, tant retardé, apparaît comme un ouvrage posthume. Après avoir vu ses parents, ses deux surs et son frère disparaître à jamais dans une rafle - ils seront gazés à Treblinka - après avoir entendu, quelques jours plus tard, un officier nazi, regardant un train de juifs s'ébranler, dire à un policier: «Tiens, regarde, ils partent griller», le jeune musicien s'enfuit, secoué de sanglots; il va errer, de cachette en cachette, à l'intérieur du ghetto, de novembre 1940 à juillet 1942. On redécouvre, dans cette existence de gibier traqué, les conditions de survie déjà évoquées dans l'inoubliable Journal d'Anne Frank. Surnommé, après la guerre, «le Robinson Crusoé de Varsovie» - «L'isolement absolu était la condition de ma survie» - Szpilman doit son salut à l'intervention d'un juste, Wilm Hosenfeld, qui mourra à la fin de la guerre, prisonnier dans un camp soviétique. Pour Szpilman, cette issue, contre laquelle il ne put rien, apprenant trop tard l'identité réelle de son sauveur, ajoute un drame de plus à son existence de survivant. De nombreux témoignages de victimes existent sur cette funeste époque. Jamais il n'y en aura un de trop.
Un survivant du ghetto
Musicien à Radio Pologne, un jeune juif a traversé toute la guerre à Varsovie, survivant aux massacres qui ont exterminé sa famille, vivant caché dans des conditions de naufragé. Publié en 1946, puis gelé par le pouvoir communiste, un témoignage bouleversant venu du froid et de l'horreur. Laffont, 119 francs (18,14 euros).
LE PIANISTE
de Wladyslaw Szpilman
On croyait tout connaître des atrocités nazies et de l'enfer du ghetto de Varsovie. Mais ce récit émergeant de l'oubli devrait rester, sur cette page noire de l'histoire du dernier siècle, parmi les documents essentiels. Publié une première fois en Pologne en 1946, immédiatement bloqué par le pouvoir communiste, jamais réédité, et donc resté jusqu'à aujourd'hui ignoré du reste du monde, il a été rédigé en 1945 par un musicien juif, Wladyslaw Szpilman, qui, pianiste à Radio Pologne au début de la guerre, y raconte les hallucinantes conditions de sa survie dans une ville assassinée.
Depuis le 31 août 1939 où, à l'aube, les premières explosions ont annoncé le début de la guerre, jusqu'au 15 janvier 1945 où, terré dans une soupente, énième cachette depuis sa fuite du ghetto, il a entendu les haut-parleurs annoncer, en polonais, la libération de Varsovie. Tout est là. L'étonnement, d'abord - comme en France, on ne pouvait pas croire à la supériorité allemande - l'espoir quand la France et l'Angleterre sont entrées dans la guerre, le siège, les bombardements, l'entrée des Allemands, les premières rafles raciales - et la chance de tomber sur un soldat musicien -, le rôle équivoque du Conseil juif - qui, au début, monnayait l'échange d'intellectuels contre des prolétaires -, le marché noir, la formation d'un « ghetto », la peur permanente, la famine, la maladie, le bocal de soupe que l'on s'arrache entre miséreux et, pourtant, la poursuite, au moins dans l'intelligentsia, d'un semblant de vie sociale. Et l'incroyable chapelet de « distractions » que s'offraient les Allemands, réquisitionnant les musiciens des rues - ils jouaient pour survivre - pour faire danser les infirmes, les obèses, l'assassinat à bout portant, par un policier, d'un gamin de dix ans qui, terrorisé, avait oublié d'enlever sa casquette devant lui.
Un récit précis et sobre
Et puis, en août 1942, le ratissage des immeubles, les déportations (dont tous les proches de l'auteur), le travail forcé, les cadavres pourrissant dans les rues, l'insurrection de la dernière chance, l'extermination, l'incendie, la dévastation complète de tout un morceau de ville. Et encore, tous les Juifs morts ou déportés, l'invraisemblable survie, « dans l'isolement absolu », de cachette en cachette, avec quelques croûtes de pain et un fond d'eau noirâtre, dans un champ de ruines, au hasard des trahisons et des miracles, aussi, comme, à la fin, celui de la rencontre avec un Allemand qui avait « honte » de l'être, et a sauvé le narrateur - avant de mourir dans un camp soviétique.
Le miracle du courage
Un récit à la fois précis et sobre qui dit, au jour le jour, l'accumulation des horreurs. Et, aussi, le miracle du courage et de la volonté... Wladyslaw Szpilman, interprète réputé de Chopin, avait quitté Radio Pologne sous les bombes alors qu'il jouait un nocturne ; six ans plus tard, il retrouvait sa place, avec le même morceau. Devenu le directeur du service musical, il avait fondé le Quintette de Varsovie, avec Bronislav Gimpel, avant de se consacrer exclusivement à la composition. Il est mort au mois de juillet dernier, au moment où paraissait la première traduction (anglaise) de ce témoignage qui n'est toujours pas réédité en polonais. C'est son fils qui le présente ici, expliquant qu'il avait découvert le livre à l'âge de douze ans, rangé discrètement sur un rayon retiré de la bibliothèque familiale. Sans lui, jamais il n'aurait su pourquoi il n'avait plus de grands-parents paternels, et pourquoi son père ne parlait jamais de sa famille...
Ce n'est pas un récit de plus. C'est un texte aussi juste que ceux d'Anne Frank ou de David Rousset, A faire lire aux jeunes générations, alors que les survivants disparaissent et qu'il se développe parfois de nauséabondes controverses autour de la Shoah. Roman Polanski, lui aussi rescapé, va en faire un film.
ANNIE COPPERMANN
LE MONDE DES LIVRES
Livres
Les raisons de vivre de Wladyslaw Szpilman
Ce témoignage bouleversant d'un survivant du ghetto
de Varsovie, écrit en 1945, n'a pas été réédité
en Pologne. Il est traduit ici à partir de sa version anglaise
Le pianiste, l'extraordinaire destin d'un musicien juif dans
le ghetto de Varsovie 1939-1945 de Wladyslaw Szpilman. Suivi
des extraits du Journal du capitaine Wilm Hosenfeld et d'une postface
de Wolf Biermann, traduit de l'anglais par Bernard Cohen, éd.
Robert Laffont, 266 p., 119 F (18,14 EURO ).
Le Pianiste "L'extraordinaire destin d'un musicien juif dans le ghetto de Varsovie 1939-1945": le titre et le sous-titre disent en fait à peu près tout de ce récit écrit par Wladyslaw Szpilman. Dans l'avant-propos Andrzej Szpilman, fils du musicien, écrit ceci : "Wladylsaw Szpilman a écrit la version initiale de ce livre en 1945, avant tout pour lui-même plutôt que pour un lectorat potentiel ; d'après moi, c'était un retour sur de terribles expériences, qui lui permettait de se libérer de ses émotions les plus poignantes et de continuer à avancer dans la vie. Depuis, il n'avait jamais été réédité, quand bien même plusieurs maisons d'édition polonaises ont tenté de le remettre à la disposition des nouvelles générations dans les années 1960. Chaque fois, ces efforts ont été contrariés sans aucune explication officielle (...) Plus de cinquante ans après sa première publication, ce témoignage est à nouveau accessible, ce qui constituera peut-être, pour tous les Polonais de bonne volonté, un encouragement à le republier dans leur langue, dans leur pays." Roman Polanski tourne actuellement une adaptation de ce récit qui conte les héros, les lâches, les collaborateurs, les exécutions, la faim, le froid. Surgit aussi la figure admirable d'un juste, le capitaine allemand Wilm Hosenfeld, qui refuse cette guerre et l'extermination des juifs, et dont des extraits des carnets sont donnés en annexe.
On s'interroge sur la façon dont le cinéaste reconstituera à l'image un témoignage dont il nous semble impossible qu'on puisse le faire incarner à l'écran sans sacrifier à la péripétie propre au cinéma, fut-il animé de toutes les bonnes intentions.
Car le titre et le sous-titre disent tout et ne disent rien d'un témoignage écrit dans les ruines de Varsovie rasée par les nazis dans un pays dont la communauté juive a été assassinée, par un homme qui s'est retrouvé seul d'avoir vu mourir ou disparaître ceux qu'il côtoyait depuis l'enfance. A la différence d'autres textes écrits dans les années qui ont suivi, parfois longtemps après, Le Pianiste est un document rédigé sous le coup de l'émotion, ou plutôt dans l'état de vide, de non-être à force de souffrance qui ont fait suite à un tel déchaînement d'inhumanité. L'absence de sentiment de vengeance, la distance avec laquelle Wladyslaw Szpilman déroule le fil de ses souvenirs proches ne font qu'accroître l'émotion qui naît de la lecture d'un texte dont on répugne à dire qu'il est admirablement écrit, mais qui l'est : toute vanité, tout effet en est absent. Le Pianiste raconte ces années qui commencent avec les semaines qui ont précédé l'invasion de la Pologne et prennent fin avec le départ des Allemands, cette vie qu'il va falloir assumer : "Un squelette humain reposait contre un mur de façade, au pied de ce qui avait été une barricade au temps de la révolte. Sa stature était frêle, les os fins, délicats : une jeune fille, certainement, d'autant que de longs cheveux blonds pendaient encore du crâne. La chevelure est la partie du corps qui résiste le plus longtemps à la décomposition. (...) De mes surs, il ne reste rien, pas même de pauvres ossements comme ceux-là. Régina, si belle, Halina l'enfant sérieuse, ont disparu et je ne retrouverais jamais au moins une tombe sur laquelle prier pour le repos de leur âme."
Mais qui était Spilman ? Ce jeune pianiste, élève du compositeur et pianiste Arthur Schnabel travaillait pour la radio polonaise et était à l'aube d'une grande carrière quand les nazis ont déferlé sur l'Europe et ont envahi la Pologne. Le destin a voulu que Szpilman soit le dernier à s'être exprimé en direct sur les antennes de la Pologne libre et le premier à rejouer le même nocturne de Chopin quand elle a repris ses émissions, six ans plus tard - l'opus 48 en ut dièse mineur. Après la seconde guerre mondiale, Szpilman a repris sa carrière de pianiste, composé de nombreuses chansons fredonnées par ses compatriotes, dirigé la radio, fondé le Quintette de Varsovie ; il a aussi participé à la grande édition nationale polonaise de l'intégrale de l'uvre de Chopin, publiée au cours des années 60, sous l'égide de l'Etat communiste. Notre chance est qu'un artiste de cette trempe ait survécu pour embellir notre vie et témoigner.
Robin Renucci lira des extraits du Pianiste, les 10 (à 17h), 11, 12 et 13 juin (à 20H30) au Musée d'art et d'histoire du judaïsme (71, rue du Temple, 75003 Paris,réser. : 01-53-01-86-46).
Alain Lompech
LE MONDE DES LIVRES | 07.06.01 | 19h29
Par la musique,Wladyslaw Szpilman a exorcisé l'horreur
du ghetto de Varsovie, dont il est un des derniers rescapés.
il perpétue la douceur d'un temps où le monde n
'avait pas encore été souillé par l'ultime
barbarie.
Szpilman est une des figures légendaires de la musique
polonaise,
pas seulement parce qu'il a fondé l'excellent Quintette
de Varsovie avec son ami le violoniste Bronislaw Gimpel, mais
parce que les aventures tragiques qu'il a vécues durant
les derniers mois de la guerre dans une Varsovie rasée
et absolument déserte, sa qualité de survivant font
de lui l'un des derniers témoins d'une culture disparue,
d'une cité anéantie.
Je suis né en 1911 à Sosnowiec dans une famille
de musiciens. Mon père était un bon violoniste,
et ma mère une pianiste très moyenne.
Dans cette ville qui comptait à l'époque quatrevingt
mille habitants, il n'y avait pas d'orchestre, pas de musique
du tout. Seulement un théâtre dramatique. Mes parents
n'étaient pas assez riches pour acheter une radio, je me
contentais donc de lire les partitions de Tchaïkovski, Scriabine,
Beethoven et Brahms, qui traînaient à la maison.
Malheureusement, il n'y avait rien de Debussy ou de Ravel. Mon
père jouait dans l'orchestre de Katowice qui se trouve
à huit kilomètres .de Sosnowiec. En ce temps-là,
le compositeur moderne polonais était Szymanowski.
&laqno; le voulais devenir musicien, mais mon père, qui
devait faire face à une existence difficile, s'y opposait.
Bien entendu, c'est moi qui ai eu gain de cause. Je suis parti
pour Varsovie, et je suis entré au Conservatoire Chopin,
où j'ai étudié le piano avec Joseph Smidowicz,
la fugue, l'harmonie et le contrepoint avec le pianiste Aleksander
Michalowski, qui à mes yeux était encore plus grand
que Paderewski. Il avait alors 72 ans et était presque
aveugle.
- Vous avez commencé à composer dès cette
époque?
- J'écrivais déjà des ouvertures pour piano
à l'âge de 12 ans et j'étais allé les
montrer au directeur de l'Opéra de Katowice, qui m'avait
dit que j'avais du talent, ce qui n'était pas vraiment
un encouragement. Quoi qu'il en soit, après cinq années
d'études à Varsovie, je suis parti en 1931 pour
l'Académie de musique de Berlin, où j'ai travaillé
avec Kreisler et Arthur Schnabel. C'est à cette époque
que j'ai composé un concerto pour piano, une suite pour
piano, La Vie des machines, et un concerto pour violon qui a été
joué par Konrad Vinaver, un élève de Carl
Flesch, et par Roman Totenberg qui partit ensuite aux Etats-Unis,
où il est devenu directeur du Conservatoire de Boston.
&laqno;En 1932, je suis retourné en Pologne pendant les
vacances pour retrouver mes parents et, à cause de l`atmosphère
déjà très tendue qui régnait à
Berlin, je n'y suis pas retourné. Je ne m'étais
pas trompé, puisqu'en janvier 1933, Hitler prenait le pouvoir.
Je dois cependant dire qu'en ce qui concernait la musique, Berlin
était une ville merveilleuse. C'était le temps où
Furtwàngler dirigeait la Philharmonie, où Arthur
Schnabel et Carl Flesch enseignaient à l'Académie.
J'avais rencontré Paul Hindemith et Emanuel Feuermann,
qui était alors un des plus grands violoncellistes du monde.
- Vous avez eu des condisciples qui sont devenus célèbres
lorsque vous étiez étudiant à Varsovie.
- C'est vrai. La première lois que j'ai vu Ida Haendel,
elle avait il ans, et jouait déjà magnifiquement
du violon. J'avais pour ma part 17 ans, je devais donner un concert
en sonate avec elle, et je me suis permis, lorsque nous avons
commencé à répéter, de lui donner
quelques conseils. Figurez-vous qu'elle m'a envoyé sur
les roses en me répondant : &laqno; Vous, occupez- vous
seulement de votre piano, parce que je sais très bien ce
que je dois faire avec mon violon &laqno; Quant à Henryk
Szeryng, je me souviens que son père avait ouvert le premier
cinéma de Varsovie. Il avait décidé de faire
débuter son enfant prodige à Varsovie, avec Bruno
Walter.
Il y est parvenu, car c'était un homme très riche.
En attendant de partir avec sa mère étudier à
Paris, Henryk et moi avons donné quelques concerts en sonate.
- Que sèsi-il passé lorsque vous êtes revenu
à Varsovie?
- Je suis entré à la radio de Varsovie, où
j'ai donné des concerts comme soliste avec l'orchestre.
J'ai joué le concerto de Brahms sous la direction de Fitelberg
et, en 1939, j'ai rencontré Witold Lutoslawski qui venait
de sortir du conservatoire, et qui allait jouer un rôle
Si important dans ma vie. Je me souviens que
mon récital Chopin fut le dernier donné à
la radio, car le 23 septembre, les Allemands ont encerclé
la ville. Ce soir-là, j'ai joué la Ballade en fa
mineur, la Barcarolle, puis soudain, l'électricité
a sauté dans le studio. C'était fini.
- Pouvez-vous dire ce qui a suivi?
- Ce fut la capitulation, la tragédie. J'ai écrit
un livre après la guerre dans lequel je raconte tout cela,
Mort d'une cité, dont six chapitres ont été
traduits et publiés en allemand. Mes parents, ma soeur
et mon frère sont morts dans les camps de concentration.
<'Tout a commencé par une guerre psychologique: un jour,
nous avons appris que nous devions porter l'étoile jaune,
un autre jour qu'aucun juif n'avait le. droit de posséder
plus de deux mille zlotys, un peu plus tard qu'il était
interdit à toute famille juive d'occuper plus d'une pièce.
Les nazis promulgaient des dizaines de lois impossibles à
observer, et toute infraction était punie de mort. Comme
tous les juifs, je dus déménager pour habiter dans
le ghetto, où les Allemands nous faisaient une guerre totale.
Malgré tout, les premiers temps ne furent pas trop durs,
et l'horreur commença vraiment lorsque les premiers tris
furent organisés. On séparait les petits enfants
de leur mère qu'on envoyait à Treblinka. Les gens
ignoraient qu'ils allaient mourir, ils croyaient qu'ils partaient
travailler, et moi aussi, je le croyais.
- De quoi viviez-vous?
- Je me produisais en solo dans les cafés du ghetto. Savez-vous
qu'il y avait beaucoup de bons musiciens et un orchestre de chambre
dans le ghetto ? J'ai fondé un duo piano-violon. Nous jouions
chaque soir quatre pièces de musique légère
que je composais à cette fin. C'est drôle, un grand
nombre des chansons que j'ai écrites dans cette sîfliation
tragique pour assurer ma survie au jour le jour sont devenues
des succès, après la guerre, en Pologne, aux EtatsUnis
et même en Russie. Elles ont d'ailleurs été
enregistrées sur les premiers disques microsillons, et
j'en ai toute une collection.
&laqno;Je n'avais plus d'instrument pour travailler personnellement,
car mes parents, n'ayant pas réussi à trouver un
emploi, avaient dû tout vendre, même notre très
beau piano, et je travaillais pour eux. La tragédie est
arrivée le 22 juillet 1942 à midi, quand le ghetto
a été scindé en deux parties : le&laqno;
petit ghetto &laqno;relié au &laqno; grand ghetto &laqno;
par un pont au-dessus de la ville &laqno;aryenne &laqno;. Des
familles ont été séparées: nous n'avions
pas le droit de franchir ce pont.
&laqno;Quand mes parents, mon frère et ma soeur ont été
sélectionnés en 1942, j'ai voulu partir
ayec eux, mais les policiers juifs, qui me connaissaient comme
musicien, m'en ont physique- ment empêché.
&laqno;Le ghetto était fermé depuis 1940, et soudain,
l'épidémie de typhus s'est déclarée.
Les Allemands, qui avaient très peur d'être contaminés,
nous ont laissés souffler quelque temps.-
Fiait-il possible de s 'enfuir du ghetto?
- C'était difficile, mais possible. Quoi qu'il en soit,
s'évader ne suffisait pas, il fallait encore trouver une
cachette, ce qui était très périlleux. En
effet, tout Polonais qui recueillait un juif était passible,
avec sa famille, de la peine de mort.
,, Après le départ de mes parents, je n'avais plus
d'endroit où habiter, car notre chambre avait été
attribuée à d'autres, j'étais également
sans travail, ce qui signifiait la mort, car les ridicules rations
alimentaires n'étaient distribuées qu'à ceux
qui avaient un emploi. Je me suis rendu à l'administration
juive du ghetto, et les fonctionnaires m'ont conseillé
d'essayer de jouer pour les SS qui aimaient la musique. J'ai refusé,
et j'ai finalement trouvé du travail dans un commando qui
construisait un immeuble à huit kilomètres des murs.
Je savais que nous serions liquidés lorsque la maison serait
achevée, et je décidai de m'enfuir. Il faut vous
dire que même ceux qui étaient arrivés riches
dans le ghetto étaient rapidement devenus pauvres en essayant
d'acheter la vie de leurs proches. Ils allaient maintenant dans
les rues comme des clochards, la peau sur les os.
- Où avez-vous trouvé refuge?
- J'ai alerté des amis polonais qui m'ont prêté
un appartement vide, sans me demander d'argent, puis Witold Lutoslawski
a donné un concert avec un violoniste pour m'en offrir
le cachet. Pas moins de vingt personnes, dont certaines m'étaient
tout à fait inconnues, se sont unies pour me sauver la
vie. Mais ces Polonais généreux étaient une
exception, car la plupart proposait aux juifs de les cacher contre
de l'argent, et les dénonçaient s'ils n'en avaient
pas. Pour être tout à fait objectif, je dois rappeler
qu'a existé ici une société secrète
nommée &laqno;Jegota &laqno; qui a sauvé environ
vingt mille juifs. C'est pourquoi Claude Lanzmann aurait dû,
à mon avis, dans son film Shaa, dont de larges extraits
ont été diffusés ici par la télévision,
donner également la parole à cette minorité
de Polonais qui ont risqué leur vie pour nous venir en
aide. Bien entendu, les Polonais méchants, cruels, qu'il
montre, étaient légion. Les Polo- nais sont capables
de lutter dans les situations tragiques, mais s'accommodent mal
des périodes de paix.
- Etes-vous resté caché jusqu la fin de la guerre
au même endroit?
- Non, le n'ai pas cessé de bouger. J'ai logé dans
l'atelier d'un peintre, puis un ami chef d'orchestre m'a prêté
Sa garçonnière. Je me suis ensuite établi
dans une chambre dont je ne suis pas sorti pendant quatre mois.
En juin, la concierge a soudain remarqué que le locataire
était parti, mais que quelqu'un vivait à sa place.
Elle est venue frapper, et le suis resté.un moment interminable
sans bouger. Cet endroit était devenu trop dangereux, et
l'ai décidé de le quitter. J'ai enfilé mon
manteau en loques (car je m'en étais servi pour transporter
des pommes de terre) et je me suis retrouvé sans papiers,
comme un fantôme, dans la rue, au grand air. J'ai bien dû
mettre deux heures pour atteindre le domicile d'un ami ingénieur
à la radio, qui se trouvait à deux minutes de là.
C'est la mère de mon ami, une femme de 70 ans, qui m'a
ouvert. Elle a reculé, épouvantée: elle croyait
voir un mort. Je lui ai dit de ne pas avoir peur, et d'appeler
son fils. Elle m'a fait entrer, et m'a demandé de jouer
l'hymne polonais et l'hymne américain. Elle m'a offert
un verre de vodka, puis son fils m'a hébergé dans
un appartement vide pendant dix jours. J'ai encore changé
de cachette pour finalement aboutir dans une chambre où
personne ne pouvait soupçonner ma présence, car
la porte était fermée de l'extérieur. On
m'apportait à manger de temps en temps.
" Puis les juifs se sont soulevés avec quelques vieux
fusils qu'ils avaient eu beaucoup de mal à obtenir de la
résistance polonaise, qui les méprisait. Ils ont
combattu six semaines avant d'être anéantis. Le ghetto
a été rasé. Ensuite, ville chrétienne
s'est soulevée à son tour,
l'insurrection a été écrasée, et les
SS, après avoir évacué les survivants vers
les camps de concentration, ont brûlé toutes les
maisons qui étaient encore debout.
&laqno; C'était le mois d'août, tout était
désormais silencieux. J'étais seul dans la ville
détruite et vidée de sa population, mais je l'ignorais.
Et, une nuit, j'ai fait un rêve dans lequel je voyais ma
mère et ma soeur, vêtues de noir, jouer une musique
funèbre. Ce présage me décida à partir.
Je pensais que Si je restais une heure de plus, les 55 ou les
hommes du général Vlassov allaient me tuer. le suis
monté sur le toit de la maison, où j'étais
persuadé qu'ils n'iraient pas, car ils cherchaient de l'or
dans les caves des immeubles incendiés. L'hôpital
tout proche, occupé par les nazis, avait huit étages,
et ma maison &laqno;, quatre. Aussi les soldats m'ont-ils remarqué,
et comme ils étaient bêtes, ils ont crié &laqno;
Halt! », ce qui m'a permis de fuir dans les ruines d'un
petit immeuble calciné, puis dans un autre qui tenait encore
debout. J'ignorais cependant que des commandos allemands s'y étaient
installés, car cet édifice avait la particularité
de posséder deux issues, l'une donnant sur une avenue,
et l'autre sur une ruelle. J'ai réussi à me réfugier
au grenier, mais au bout de trois jours, je n'avais plus rien
à boire ni à manger. Je suis descendu à l'étage
inférieur pour fouiller les placards. Soudain, j'ai entendu
dans mon dos: &laqno; Haut les mains ! » C'était
un officier allemand. Je me suis retourné en pensant que
je vivais mes derniers instants, mais il m'a dit: &laqno; N'ayez
pas peur. &laqno;
"J'étais épouvantable à regarder. Je
portais des haillons et je ne m'étais pas lavé ni
rasé depuis quatre mois. Alors l'ai tenté de lui
mentir en lui racontant que cette maison était la
mienne avant la guerre, et il m'a répondu que je ne pouvais
pas rester ici. &laqno; Quelle est votre profession? a-t-il ajouté.
- Pianiste et compositeur. - Alors présentez-vous à
la Feldgendarmerie. - Ce n'est pas possible. - Vous êtes
juif? - Oui. - Suivez-moi. &laqno;
&laqno; Nous sommes descendus dans l'appartement qu'il occupait
au dessous, et je suis entré dans une vaste pièce
dont les vitres avaient été brisées, et au
milieu de laquelle trônait un piano à queue. &laqno;
Asseyez-vous et jouez-moi quelque chose. &laqno; N'ayant pas posé
mes mains sur un clavier depuis plus de deux ans, l'ai renoncé
aux Valses viennoises qui ravissaient les Allemands et l'ai choisi
un Nocturne de Chopin.
&laqno; Il m'a écouté, puis après un moment
de silence, il m'a demandé comment j'avais réussi
à me cacher, alors que la ville avait été
évacuée. Je l'ai conduit au grenier. &laqno; Vous
savez, m'a-t-il soudain murmuré, je sais tout ce qui s'est
passé. Les Allemands ont commis un immense massacre, et
c'est une honte pour l'éternité. Quel malheur d'être
né Allemand! &laqno;
&laqno; Il est revenu trois fois me voir avec des vête ments
et de la nourriture. &laqno; Rassurez-vous, tenez bon, nous avons
perdu la guerre, dans trois semaines nous ne serons sans doute
plus là. &laqno; Je lui ai dit que Si je survivais, et
qu'il avait besoin de moi après la guerre, il pourrait
venir me voir à la radio. Je ne lui ai donné que
mon prénom, et je n'ai pas voulu connaître le sien,
car le redoutais de parler Si j'étais pris et torturé.
- La guerre a effectivement pris fin.
- Oui, mais le ne le savais pas, et je suis resté dans
mon grenier. Décembre est venu, le thermomètre est
descendu à moins vingt-cinq. Je n avais plus rien à
boire, car l'eau était gelée
dans les gouttiêres, et je me suis résigné
à sortir. J'ignorais que les Russes avaient enfin traversé
la Vistule, et le premier soldat allemand déguisé
en civil, m'a regardé d'un air mauvais et m'a pris en chasse.
J'ai pensé une fois encore que j'étais perdu, quand
un autre soldat a surgi avec un brassard de l'armée Polonaise
en brandissant un révolver. Il a crié: &laqno; Haut
les mains » J'ai répondu en polonais. C'était
la fin. Je me suis retrouvé dans l'appartement qu'occupait
mon sauveur allemand trois semaines plus tôt, en train de
jouer du piano pour les soldats polonais qui m'ont appris que
j'étais le seul civil dans Varsovie détruite. J'ai
vécu e(rois semaines en compagnie de ces soldats, et je
suis enfin retourné à la radio. On m'a aussitôt
installé devant un piano, et j'ai donné un récital
Chopin improvisé en direct.
'
&laqno;En 1950, j'ai reçu une lettre d'un juif allemand
qui me disait ceci: &laqno; Je vous écris de la part de
monsieur Hasenfeld que vous avez rencontré pendant la guerre.
Il est actuellement détenu dans un camp à Brest-Litvosk.
Sa famille a reçu des lettres dans lesquelles il parlait
de vous, et demandait dè vous avertir. » Je suis
immédiatement allé voir des personnes importantes
pour obtenir sa libération, mais ça n'a servi à
rien, et il est mort là-bas d'une hémorragie cérébrale.
&laqno;Un jour, son fils, qui était médecin, est
à son tour entré en contact avec moi. Il me rend
régulièrement visite avec ses enfants. Il y a quelques
semaines, il était assis dans cette pièce, à
la même place que vous, et il m'a dit:
&laqno;Je viens en Pologne pour voir le lieu où les juifs
ont vécu et été exterminés. »
Et il a éclaté en sanglots comme un petit enfant.
»
Propos recueillis par Myriam Anissimov
LE QUINTETTE
DE VARSOVIE
Bronislaw Gimpel: premier violon.
Né à Lwow dans une famille de musiciens. Son père
était chef d'orchestre, et son frère Jakob, pianiste.
Il a étudié le violon au conservatoire de Lwow avec
le professeur Wolfsthal, et a commencé à jouer en
public à l'âge de 8 ans. Il a continué ses
études à Vienne avec Robert Pollack, et a commencé
à donner des concerts avec l'Orchestre philharmonique de
Vienne à 14 ans, tout en étant l'élève
de Carl Flesch.
Gimpel, qui jouait sur un Guarnerius ayant appartenu à
Paganini, est parti pour les Etats-Unis en 1943 pour échapper
aux persécutions nazies. Dès 1945, il a été
engagé à New York comme chef et soliste de l'Orchestre
de la radio. Il a joué beaucoup de musique de chambre avec
les quelques ensembles qu'il avait fondes.
Wladyslaw Szpilman: piano.
Tadeusz Wronski deuxième violon. Siefan Kamasa: alto.
Aleksander Ciechanski: violoncelle.
L'ensemble a effectué de nombreuses tournées aux
Etats-Unis et dans le monde entier. Ses musiciens ont joué
vingt-quatre ans ensemble.
By Myriam Anissimov
_____________
"Le Monde"-Le Monde de la Musique No 110 France
Szpilman Wladyslaw
1911-2000
*Sosnowiec 5 décembre 1911 Varsovie 6 juillet 2000. Compositeur et pianiste. Son père est violoniste, sa mère pianiste. Il étudie à l'Académie Chopin de Varsovie avec Jøzef Smidowicz et Aleksander Michalowski (qui furent tous deux des élèves de Liszt). De 1391 à 1933 il obtient une bourse pour étudier à l'Académie des Arts de Berlin. Il y étudie le piano avec Leonid Kreutzer (1884-1953) et Arthur Schnabel et la composition avec Franz Schreker.
Il commence à jouer en duo avec le violoniste Bronislav Gimpel (1911-1979) qui fera carrière aux État-Unis dès 1937 (il prendra la nationalité américaine et combattra dans son armée de 1942 à 1947)
Il compose ses premières oeuvres symphoniques, un concerto pour violon, la suite pour piano Zycie Maszyn (la vie des machines), et un concerto pour piano et orchestre.
A la suite de la monté du nazisme, il retourne à Varsovie où il rencontre aussitôt le succès comme pianiste et compositeur. En 1935 il est engagé par la Radio Polonaise. Le 23 septembre, pendant le bombardement de Varsovie il joue le nocturne en do # mineur de Chopin qu'il doit interrompre quand l'immeuble de la radio est atteinte par les bombes. Six ans plus tard, quand la station émettra de nouveau sur le pays libéré, il inaugure ses retrouvailles avec la même oeuvre.
Après 1945, il joue avec Bronislaw Gimpel, Henryk Szeryng (violoniste, 1918-1988, installé au Monaco), Ida Händel (violoniste * 1923, installée en Angleterre puis au Canada), Tadeusz Wronski, Roman Totenberg (violoniste, * 1911)
En 1946 il publie, sous le titre Une ville meurt le récit autobiographique hallucinant des 6 années de guerre, de la création du ghetto et de l'enfermement des 500 000 juifs, de leur extermination (il ne seront que quelques dizaines à Varsovie à la fin de la guerre), du soulèvement du ghetto, puis de celui de Varsovie, de son errance fantomatique dans une ville systématiquement détruite maison par maison. Ce livre est interdit par les nouvelles autorités, parce qu'il met en évidence la collaboration de juifs, de Polonais, de Russes, d'Ukrainiens, de Lituaniens avec le régime barbare ; qu'il rapporte le secours qu'il a reçu d'un officier allemand (que la censure transforma en officier autrichien !), enfin, certainement parce qu'il n'est pas le type d'héros et ne donne pas le sens à l'histoire souhaités par le régime stalinien (ni par aucun autre régime d'ailleurs).
Dans les années 1950, il compose une cinquantaine de chansons pour enfants et reçoit pour celles-ci le Prix de l'Union des Compositeurs de Pologne en 1955.
Il écrit plusieurs symphonies et environ 500 chansons, dont 150 sont de grands succès, de la musique de film et de pièces radiophoniques.
En 1961 il organise le festival de chansons de Sopot. Il crée également l'Union des Auteurs de Musiques Populaires de Pologne.
En 1963, il est directeur de la musique à la Radio Polonaise. Il rejoint le «Le Quintette de Varsovie», avec Gimpel comme premier violon, Tadeusz Wronski au second violon, Stefan Kamasa à l'alto et Aleksander Ciechanski au violoncelle. Jusqu'en 1987, l'ensemble donne environ 2500 concerts dans le monde entier.
En 1964, il est membre du presidium de l'Union des Compositeurs de Pologne.
En 1998, son fils qui a découvert Une ville meurt dans la bibliothèque de son père le fait de nouveau publier sous les titres Das wunderbare Überleben et The pianist..